Résumé: De nombreuses analyses montrent que la croissance ne livre plus les résultats d’autrefois, et qu’il est temps de lui dire adieu. Jean Gadrey, économiste français bien orienté, souligne cette situation mais insiste que les critiques du dogme de la croissance, sans proposition d’une alternative, ne mènent nulle part. Sa proposition, prenant l’argent «là où il existe», sert à répondre aux défis budgétaires de la France, mais est finalement aussi illusoire que d’autres efforts; elle est faite sans recours à la croissance, mais dans une approche que l’on peut décrire comme celle des «gated communities». Des auteurs québécois sont intervenus récemment pour protester contre les programmes d’austérité et nous confrontent à un recul par rapport aux constats de Gadrey et à d’anciens acquis face au mythe de la croissance. Un document clé de l’IRIS publié en 2009, «Repenser la gauche économique selon ses propres critères» semble être complètement oublié, et mérite d’être revisité. Nous sommes devant une situation où les contraintes budgétaires sont réelles, où les interventions néo-libérales pour les résoudre évitent de cibler les vrais enjeux mais où l’ensemble des acteurs, dans leurs efforts de gérer les défis budgétaires actuels, oublient que ceux-ci ne sont que la pointe de l’iceberg. L’effort d’éviter l’austérité dans les sociétés riches passe à coté de l’austérité permanente vécue dans les sociétés pauvres et le fait que l’humanité dans son ensemble dépasse déjà la capacité de support de la planète.
Une relecture des rapports de la Banque mondiale sur les enjeux pour l’agriculture associés aux changements climatiques, une relecture de l’ensemble des rapports récents ciblant la COP21, permet de mieux en saisir les implications pour nous dans les pays riches. Je suis amené à aborder cette réflexion en regardant de plus près les efforts menés par les pays riches pour assainir leurs budgets en invoquant la nécessité de programmes d’austérité (relative…). Il faut bien reconnaître que la plupart de ces efforts s’insèrent dans un processus où la financiarisation des processus décisionnels et la recherche d’une «reprise» de la croissance économique s’associent à un modèle économique aux allures néo-libérales mettant un accent sur «les vraies affaires». Je suis bien d’accord avec les efforts de contester ce modèle, menés entre autres par les économistes hétérodoxes (et ceux atterrés), mais je veux mettre un accent sur ce qui me paraît plus fondamental mais négligé constamment par ces mêmes économistes.
Le chemin d’une autre prospérité
Il faut regarder les enjeux d’un tout autre oeil pour mieux saisir les implications des effondrements projetés par le Club de Rome et probablement déjà en cours. Jean Gadrey est un économiste français très bien orienté par rapport à ces enjeux. Blogueur pour Alternative économiques, périodique qui n’a pas encore compris la nécessité d’une approche critique à la question, il a publié en 2010 Adieux à la croissance: Bien vivre dans un monde solidaire (Les Petits matins). On y trouve beaucoup des analyses sur la fin de la croissance que j’utilise moi-même dans ce blogue, et plusieurs éléments de ce que Herman Daly appelle le «steady-state economy». Gadrey insiste, par contre, sur sa conviction que nous pouvons viser «une société qui doit, et peut, viser le plein-emploi ainsi qu’un haut niveau de protection sociale pour tous». Comme l’éditeur souligne sur la page couverture 4, «c’est le chemin d’une autre prospérité qui est ici proposé, plus juste, moins violente, et donc réellement durable».
En réponse à la volonté de la Banque mondiale (et de l’ensemble des autres institutions internationales) de «construire une prospérité partagée» en poursuivant la recherche d’une croissance économique à l’échelle mondiale, Gadrey souligne les illusions de cette autre volonté en en décrivant, chapitre après chapitre, les failles. Il consacre son dernier chapitre à une approche alternative dont le titre insiste: «Dans l’immédiat: les ressources existent!». Suivant le principe de «prendre l’argent là où il se trouve», Gadrey détaille des dizaines de milliards d’euros qui échappent au gouvernement français en raison de cadeaux fiscaux, de niches fiscales, de réductions, suppressions ou abattements de cotisations sociales et de fraude fiscale, et y ajoute les dépenses militaires excessives. Il conclut qu’il est possible de «trouver très vite, sans invoquer la croissance, au moins 80 milliards d’euros de recettes publiques annuelles en plus (4 points de PIB)». Il souligne ainsi une composante importante de l’effondrement qui n’a rien à voir avec les projections du Club de Rome, soit l’impact sur les revenus gouvernementaux des excès permanents des milieux financiers, en sus des impacts des milieux économiques eux-mêmes.
Les propos de Gadrey sont tombés sur les oreilles de sourds, même le socialiste François Hollande faisant campagne pour la présidence en 2012 sur le thème de la reprise de la croissance. Ici au Québec, Québec Solidaire intervient assez régulièrement avec des propositions analogues à celle de Gadrey, et semble malheureusement avoir autant d’influence sur les vraies affaires ici que ce dernier en France. En fait, en lisant ces propos, on voit le pendant de l’irréalisme du mouvement environnemental dans son maintien des interventions traditionnelles. Tous restent dans les termes des débats établis par les milieux économiques et financiers.
Québec Solidaire, qui entreprend actuellement un repositionnement en matière d’économie pour améliorer sa crédibilité, n’est pas encore explicite concernant les implications de l’idéologie de la croissance. Gadrey l’est:
Face à ce qu’il faut appeler un attachement populaire à la croissance, la pire des solutions serait de se poser en donneurs de leçons de sobriété pour tous. Il faut comprendre, discuter et démontrer que ceux et celles qui reprennent ces refrains, ainsi que leurs enfants, se porteraient mieux si l’on passait d’une société de croissance à une société solidaire et soutenable, et que cette bifurcation serait bénéfique pour l’emploi et la qualité de vie….
L’objectif principal [de ce livre] n’est donc pas de proposer une énième critique du dogme de la croissance comme solution universelle aux problèmes du monde. Cette critique tomberait largement à plat si des alternatives n’existaient pas pour une refondation désirable, si ces alternatives n’étaient pas crédibles, ou s’il semblait utopique de les mettre en oeuvre dès maintenant.
On voit ici le type d’l’irréalisme qui marque aussi les interventions du DDPP, de Calderón et Stern, de la Banque mondiale, du FMI – de toutes les instances économiques et financières actuelles dont la compréhension du développement s’est transformée dans la promotion de l’économie verte depuis trois ou quatre ans. Il est politiquement inconcevable – «la pire des solutions» – de mettre de l’avant les véritables implications de la fin de la croissance, et le prix en est de se lancer dans des propositions irréalistes.
Dérapages au Québec
Tout récemment, des intervenants québécois bien orientés dans leurs analyses de la situation actuelle semblent avoir dérapé dans le même sens que Gadrey, mais sans le constat de base à l’effet qu’il faut dire adieu à la croissance. Dans Liberté (hiver 2015), Éric Pineault, normalement ayant des propos moins enracinés dans le discours économique de base, y contribue «Bienvenue en Austérie»; il s’agit d’une analyse fine des (mauvaises) orientations néo-libérales en même temps que la promotion sans bémols d’une tendance générale chez les économistes hétérodoxes en faveur de la croissance tout à fait traditionnelle. Il y reprend entre autres les arguments de Louis Gill (dont je croyais avoir montré les failles, même si sa réplique insistait sur les risques d’une telle critique pour la crédibilité des autres interventions) sur le rôle positif de la dette dans le développement (endogène): «tant que l’économie croît plus rapidement que la dette et le service de la dette, il n’y a aucune raison de paniquer» (30).
Dans un autre article du numéro, Julia Posca de l’IRIS utilise les calcul de l’économiste Pierre Fortin pour souligner que «le poids de la dette par rapport au PIB québécois est en baisse depuis vingt ans… Il faut croire que les mythes [ici, celui qui voit la dette comme indicateur d’un déséquilibre dans l’économie d’un État] ont la vie dure » (22). Pour formaliser l’enjeu, Francis Fortier et Simon Tremblay-Pepin de l’IRIS (reconnaissant un apport de Louis Gill) ont produit une brochure État de la dette du Québec 2014. Dans une entrevue avec Éric Desrosiers du Devoir sur l’intervention, Tremblay-Pepin insiste: «Plutôt que de déprimer encore plus une économie déjà amorphe, à coups de compressions budgétaires et de contributions dérisoires au Fonds des générations, le gouvernement devrait chercher des moyens de relancer la croissance, Ce n’est pas en remboursant la dette qu’on en réduira l’importance relative. C’est en s’assurant que l’économie croît plus vite que la dette».
Josée Blanchette montre un peu plus de précaution dans sa chronique du vendredi 28 novembre (en se fiant entre autres à son mari économiste) mais est finalement entraînée aussi dans la conviction que seule la croissance de l’économie pourra permettre d’éviter la catastrophe. Elle en cible des enjeux important, comme Pineault et Posca.
Loin d’atteindre les cibles souhaitées, l’austérité nuit à la relance économique et foutrait tout le monde dans le pétrin. Moins de jobs, moins d’argent ; moins d’argent, moins de consommation ; moins de consommation, moins de jobs, et rebelote. J’oubliais : moins d’État, plus de privé. On pourrait penser que ça s’arrête là. Eh bien non. L’austérité tue, mais il n’existe pas de cimetières pour aller pleurer les dommages collatéraux du déficit zéro. Selon les auteurs David Struckler et Sanjay Basu, deux chercheurs en santé publique, l’un à Oxford, en Angleterre, l’autre à Stanford, en Californie, l’austérité augmenterait l’alcoolisme, le nombre d’épidémies, de dépressions, de suicides.
Elle cite l’Islande comme modèle à suivre, très intéressant à plusieurs égards, et réfère à l’intervention de Pierre Fortin qui prévoit une récession si les programmes d’austérité sont mis en place. Ce que Fortin ne reconnaît pas, à mon avis, est qu’une récession permanente est probablement devant nous, peu importe nos interventions. La tendance semble inéluctable, alors que pour le moment on se montre très content d’un taux de croissance de 2,2% au Canada et de 1,6% au Québec (la figure – cliquez dessus pour la voir plus grande) montre les tendances de la croissance du PIB en place depuis plus de 50 ans et la ligne pointillée le 2,5% de croissance du PIB jugé nécessaire pour éviter le chômage structurel).
L’ensemble de ces interventions vont à l’encontre d’un document clé de l’IRIS produit en juin 2009. «Repenser la gauche économique selon nos propres critères» était signé par toute l’équipe de l’Institut. Il s’agit d’une des rares interventions québécoises récentes qui critiquait les fondements d’une «incapacité idéologique et politique à renoncer à l’objectif de la croissance économique». Comme ce document soulignait, la gauche se trouvait régulièrement contrainte de ranger ses objectifs sociaux au second plan face à cette incapacité.
À suivre l’ensemble des interventions contre les programmes d’austérité en place depuis quelques années, il semble bien que même l’IRIS se trouve sans outils, à moins d’endosser à son tour le dogme de la croissance économique, que finalement l’ensemble des milieux progressifs au Québec reconnaissent, comme Gadrey, que «la pire des solutions serait de se poser en donneurs de leçons de sobriété pour tous», et n’acceptent même pas de dire adieu à la croissance… Nous voilà donc devant des crises profondes et une incapacité au Québec à les reconnaître dans leurs fondements.
Les économistes mathématiciens
La répudiation scandalisée du pouvoir financier et des mauvaises orientations néo-libérales encadre les interventions irréalistes des promoteurs de l’économie/croissance verte (une utopie scientiste, selon Gadrey). Contrairement à Gadrey, par contre, elle ne se détache pas de l’idéologie de la croissance pour promouvoir «une autre prospérité» et comporte des failles béantes. Le problème, finalement le thème de ce blogue, est le pouvoir du modèle économique sur nos décideurs et sur nos élites en dépit de tout le bon sens disponible pour le corriger.
On peut en apercevoir des éléments du problème en regardant de nouveau le rapport préparé par Luc Godbout et son équipe portant sur les perspectives budgétaires du Québec pour les prochaines décennies. J’en ai parlé dans un long article en janvier dernier, lors de sa publication. Le travail part de l’hypothèse – qui va de paire avec les orientations du modèle économique – qu’il ne faut pas faire intervenir des changements dans le régime fiscale: il ne faut pas de nouvelles taxes sur les consommateurs ou les créateurs d’emplois… Il passe ensuite au calcul, pour conclure à des projections budgétaires qui sont catastrophiques pour le Québec.
Clairement, l’introduction de l’idée de «chercher l’argent là où il se trouve» changerait la donne, fournissant des revenus manquants pour le gouvernement. C’est ce que Gadrey suggère pour la France, Québec Solidaire et d’autres pour le Québec. Ma préoccupation n’est pas les calculs de l’équipe de Godbout, ni les analyses de ceux qui identifient des sources de revenus parmi les riches. Les premiers sont fort probablement assez précis et les dernières aideraient à éviter en partie la perte de services sociaux mis en cause par les programmes d’austérité.
Ma préoccupation est plutôt l’absence, dans ses réflexions, de tout calcul touchant les crises écologiques et sociales, touchant finalement les externalités de notre activité économique (et sociale). Comme j’y conclus:
Le budget du gouvernement ne semble pas soutenable dans les prochaines années, voire les prochaines décennies, en imaginant le Québec abstrait du document de la Chaire. Le Québec plus réel que l’on peut essayer d’imaginer en intégrant des facteurs budgétaires associés aux coûts des externalités l’est encore moins. Le modèle utilisé par les auteurs nous mène dans le mur, et pourtant, il ne tient même pas compte de l’ensemble des enjeux.
Les services offerts par le gouvernement et dont le document de la Chaire présente des scénarios pour l’avenir sont impressionnants, et source de fierté. Ils sont clairement à risque. Nous nous dirigeons vers un mur sur la base de projections ancrées dans un modèle qui ne semble plus répondre aux attentes. Ceci arrive en même temps que l’évolution des crises écologiques et sociales s’accentue et semble même atteindre un point de bascule. La réaction des auteurs : il faut espérer que la productivité des travailleurs augmente.
On se permet d’imaginer le maintien de la croissance alors que l’humanité est déjà en déficit par rapport à son empreinte écologique, des milliards de personnes ne réussissent pas à sortir d’une austérité permanente qui est fonction de l’échec du modèle et personne ne propose une approche réaliste pour gérer les crises qui viennent, précisément, celles de la croissance poussée beaucoup trop loin.
Austérité des pays riches, austérité des pays pauvres
Finalement, et pour revenir aux rapports de la Banque mondiale mentionnés au tout début de cet article, il est fascinant de voir la bonne volonté manifestée tout au long des trois rapports, conjuguée à un constat que le modèle n’a pas atteint (encore…) les objectifs de la mission de la Banque, que l’urgence exige des mesures immédiates et que ce ne sont pas seulement les changements climatiques qui nous menacent… Extraits du deuxième rapport:
L’Asie du Sud-Est a connu une forte croissance économique et une tendance à l’urbanisation, mais la pauvreté et les inégalités continuent de poser des difficultés considérables dans cette région. La population totale devrait atteindre près de 759 millions d’habitants d’ici 2050, dont 65% vivront en zones urbaines [lire: bidonvilles]. En 2010, la population s’établissait à 593 millions d’habitants, dont 44% vivaient en zones urbaines… (6)
L’Asie du Sud abrite une population croissante d’environ 1,6 milliard d’habitants qui devrait dépasser les 2,2 milliards d’ici 2050. Elle a connu une croissance économique robuste au cours des récentes années, mais la pauvreté reste généralisée et on y trouve la plus forte concentration de populations pauvres du monde… (8)
Les «points chauds» potentiels comme le Bangladesh risquent d’être confrontés aux menaces grandissantes des crues extrêmes, des cyclones tropicaux plus intenses, de l’élévation du niveau de la mer et des vagues de chaleur extrême. Le développement et la croissance économiques devraient permettre de réduire dans le futur la vulnérabilité des vastes populations pauvres d’Asie du Sud, mais les projections climatiques indiquent que des poches de vulnérabilité extrême risquent de persister… (9)
En Inde, la disponibilité brute par habitant devrait baisser en raison de la croissance démographique. (17)
La croissance démographique dans les pays riches contribuait pour environ 50% de leur croissance économique pendant les décennies suivant la Deuxième Guerre mondiale. Elle fait toujours partie des projections de croissance (moindres) pour l’avenir, suivant le modèle et la façon de calculer le PIB. Les changements climatiques nous menacent, tout comme les programmes d’austérité mis en place un peu partout. Ce qui nous menace davantage est ce que le Club de Rome a prévu il y a 40 ans, la progression des crises écologiques et économiques à un point tel qu’elles ne pourront plus être gérées. Une prospérité «sobre» – rejetée par Gadrey – nous guette en fonction de notre dépassement aveugle de toutes les bornes signalant la nécessité de changer de cap. Une austérité existe déjà chez les milliards de personnes dans les pays pauvres, et il y existe en permanence. Rien ne suggère qu’elle ne viendra pas dans les pays riches aussi, alors que nous continuons à ne voir qu’une partie de la menace et n’en voulons pas, pas plus que nous ne voulons l’austérité permanente des pauvres.
Finalement, les critiques des programmes d’austérité dans les pays riches s’insèrent dans une mentalité de «gated communities», cette façon des riches de se protéger des pays pauvres, cette façon des riches d’éviter (pour un temps) les conséquences des actions de leurs «ancêtres» des dernières décennies d’abondance (pour citer Posca). Il faut absolument voir plus de lucidité dans les interventions de la gauche au Québec. D’abord en voyant la lucidité des analyses de Gadrey et de l’IRIS d’antan face à la croissance, ensuite, en répudiant la recherche de crédibilité illusoire que même Gadrey juge incontournable. On peut commencer chez nous, avec le document de l’IRIS, «Repenser la gauche économique selon nos propres critères». D’autres pistes pour une approche plus positive que je ne crois pas la moindrement possible se trouvent dans les ouvrages de Tim Jackson (Prosperity Without Growth: Economics For a Finite Planet 2009) et de Peter Victor (Managing Without Growth: Slower By Design, not Disaster, Edward Elgar, 2006) où, en dépit des meilleures intentions et de leur bonne compréhension des enjeux, la mentalité de «gated communities» ou d’«îles fortifiées» semble implicite partout.
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En octobre dernier, nous avons publié à l’IRASD, une analyse sur « Les pressions néfastes de l’économie monétaire ». Cette analyse fait suite à plusieurs travaux de recherche sur les limites conceptuelles et opérationnelles du système social conçu par l’espèce humaine avec ses stratégies comportementales pour s’adapter à son environnement biophysique et humain depuis le début de son évolution. Le modèle d’économie développé par l’espèce humaine est un modèle conceptuel basé sur une convention virtualisée de la valeur des biens et services : la monnaie!
Ce système économique monétaire est caractérisé par la nécessité de maintenir sa croissance toujours positive, peu importe les limites de cette croissance et peu importe les pressions que cette croissance peut exercer sur les individus, la collectivité et les autres éléments constitutifs du système social. Nous étudions donc, entre autres, les limites de la croissance et les pressions économiques induites par la conception de ce modèle. Parmi ces travaux, l’analyse des symptômes sur l’absence de reprise économique depuis la dernière crise du système et l’analyse des limites de la croissance.
Des travaux de l’IREC démontrent aussi que le maintien des inégalités est un choix de société issu du maintien du système en place par l’absence de réformes profondes. Nous savons aussi que la stratégie de l’austérité ne mène à aucun résultat sauf l’échec social et systémique qui pousse le système vers un effondrement sur lui-même.
Et nous constatons que le modèle de structures administratives hiérarchisées et centralisées est complètement déconnecté de la réalité du peuple. Nous découvrons également que le modèle actuel qui soutient exclusivement le développement d’une économie monétaire est totalement incompatible avec l’instauration d’une démocratie participative citoyenne.
Récemment, le G20 se réunissait à Brisbane en Australie pour chercher des pistes de mitigation à la croissance. Pour que cette recherche puisse être viable, elle doit constituer une analyse objective des faits afin de comprendre en profondeur les fondements des problèmes de notre civilisation. Cette recherche exhaustive implique la collaboration de tous les domaines des sciences naturelles et sociales qui possèdent actuellement toutes les réponses, mais éparpillées dans leurs domaines respectifs sans aucune intégration des connaissances ni des démarches. Ce fut un échec, comme nous l’avions pressenti à cause de l’incapacité des décideurs de prendre du recul et de faire de l’intégration de connaissances. Exactement comme les actions concrètes face aux changements climatiques qui ne peuvent être prises sans mettre à risque la croissance économique monétaire.
Les solutions des problèmes auxquelles fait face l’humanité n’apparaitront pas par miracle, ni par magie, et ce, même si la prise de conscience citoyenne est en croissance. Dans les faits, les citoyens ont besoin d’être guidés. Mais moins que les décideurs qui n’ont pas la pleine conscience des problématiques parce qu’ils sont obnubilés par leurs certitudes d’avoir raison avec le système social actuel.
Il faut comprendre que le modèle conceptuel du système social de l’espèce est issu de sa capacité d’adaptation à son environnement biophysique. Que l’homme s’est adapté principalement en développant des stratégies comportementales qui l’ont mené à construire un environnement social. La question à laquelle il faut répondre ne relève aucunement de l’analyse des systèmes en place inventés de toutes pièces par l’homme, mais de l’étude de l’espèce humaine pour déterminer si l’état actuel de son évolution lui permet de survivre dans l’état actuel des choses.
En conséquence, les travaux de recherche en architecture sociale de l’IRASD visent à comprendre et décrire la situation actuelle du système humain afin d’identifier les défauts de conception de l’environnement social qui a été créé et a évolué au fil de l’histoire de l’espèce humaine exclusivement par de petites adaptations successives de ses stratégies comportementales, mais sans jamais ne rien changer aux bases conceptuelles. Nous sommes convaincus que nos travaux permettront de produire une approche pour procéder à l’architecture sociale permettant d’ouvrir la porte à une modernisation réformatrice consciente du système social et de l’environnement social de l’espèce humaine afin d’assurer la pérennité de la civilisation et la survie de l’espèce humaine dans un contexte de développement et d’évolution durables.
Mais cette démarche ne doit pas être laissée au hasard de l’évolution, soumise aux dérives des adaptations comportementales de l’espèce humaine. Elle doit être documentée et suivre une approche scientifique et documentaire stricte. L’IRASD est sûre que cette démarche doit se faire pour éviter l’anarchie et le hasard des dérives d’adaptation de la stratégie comportementale de l’espèce humaine. Pour y arriver, nous travaillons à l’établissement d’une équipe, dans le but de couvrir les domaines de recherche et de produire une documentation solidement appuyée par les sciences naturelles et sociales.
La mission de l’IRASD est simple, mais la démarche est très large. Et les réponses risqueront de surprendre de nombreux individus de l’espèce humaine. Sans une modernisation complète et généralisée de tous les éléments constitutifs de l’environnement social et du système social, il est impossible pour l’espèce humaine d’induire les changements de stratégies comportementales qui seront bénéfiques et constructifs pour la survie de l’espèce. Certains chercheurs croient que les solutions n’existent pas et qu’il faut préparer dignement la civilisation à vivre son effondrement. Tant que nos recherches ne l’auront pas démontré, nous poursuivrons nos travaux avec audace. Parce que nous sommes convaincus qu’il n’existe aucun problème sans des solutions et que l’espèce humaine recèle des ressources cachées qu’il faut développer sciemment.
Stéphane Brousseau – Directeur de recherche
B.Sc. Géologie
Analyste et architecte en technologies de l’information et des communications
Chercheur en architecture sociale durable
—
IRASD – Institut de recherche en architecture sociale durable
SSARI – Sustainable Social Architecture Research Institute
Démocratie – Économie – Législation – Justice – Médias – Éducation – Religions – Sciences
IRASD.SSARI@gmail.com
@IRASD_SSARI
Brousseau, responsable de l’impressionnante revue de presse Enjeux énergies, détaille ici un ensemble de travaux menés par lui et ses associés. Il faut bien note sa dernière remarque, à l’effet qu’«il n’existe aucun problème sans des solutions», en commentaire à mon analyse à l’effet que les solutions n’existent pas pour les défis actuels, tellement nous avons dépassé les limites, et qu’«il faut préparer dignement la civilisation à vivre son effondrement». Finalement, son commentaire passe à coté du constat principal de mon article, à l’effet que nos critiques des programmes d’austérité doivent justement s’insérer dans une perspective plus large, le constat d’échec de notre système économique. Ou dit autrement, il opte pour la position des gens comme Gadrey, cherchant à promouvoir une sortie de crise «désirable» plutôt que la «sobriété» qui me paraît inéluctable, si nous tenons compte de la situation de l’ensemble de l’humanité et de la planète sur laquelle elle vit. Comme j’ai indiqué à Philippe Gauthier dans un échange sur mon dernier article, les paramètres de cette sobriété méritent notre réflexion, ce qui manque presque complètement dans les débats actuels.
Sans doute doit-on appliquer la théorie de la saltation ou théorie des équilibres ponctués chère à Stephen Jay Gould à l’évolution culturelle humaine. Ainsi, on ne peut sérieusement envisager qu’un ordre économique (en définitive une construction culturelle) ne puisse se transformer en l’absence de crises, tout comme une espèce n’évoluera que lorsque des changements environnementaux majeurs à son biotope surviendront. Il apparaît donc illusoire de penser que des solutions en amont de telles crises puissent prendre place, les conditions maintenant la doxa commune aux économistes, affairistes et autres gens s’occupant des « vraies affaires » n’étant pas ébranlées. Aussi, la notion de la croissance économique se maintiendra comme un dogme encore longtemps, même bien après qu’elle ne sera plus qu’une illusion… comme s’est prolongé durant tout le haut moyen-âge le mythe de l’empire romain.
Ceux qui professent des solutions « idéales » m’apparaissent ainsi comme ces enfants assis derrière le conducteur d’une auto qui, s’amusant dans leur siège d’enfants, s’illusionnent qu’ils conduisent eux-aussi le véhicule, alors que le véritable conducteur poursuit sa course vers l’abîme…
Seul bémol: ce ne sont pas des enfants qui s’amusent. Ma préoccupation reste que les acteurs critiques dans notre société passent proche de s’illusionner dans des positions finalement contradictoires. C’est un peu comme les éditorialistes de La Presse, même si ceux-ci prônent toujours et avec insistance le développement économique. Nous sommes devant une situation où nos objectifs sociaux, économiques et environnementaux sont en contradiction avec le possible.
Votre texte me réconforte tellement. J’ai aussi été un peu désappointée dernièrement des discours des Éric Pineault ou des Julia Posca.
Ce soir, mon statut FB disait ceci: «Mise au point. Je suis contre l’austérité. Mais je suis tout aussi contre le statu quo qui est de continuer à essayer de relancer la croissance à n’importe quel prix. Quand j’entends Amir Khadir affirmer que l’austérité tue l’emploi et la croissance économique, je prends conscience que lui aussi veut relancer la croissance. Et ça me fait mal au coeur. La croissance a amené notre planète au bord de l’épuisement et au bout de plusieurs ressources. Continuer dans la voie de la croissance, c’est la mort presque certaine de notre planète. Ce qu’il nous faut, c’est la décroissance: la décroissance des inégalités, des injustices et de la gouvernance oligarchique. Il nous faut une bonne conversation démocratique sur ce que nous devons continuer de produire, comment et par qui cette production doit être réalisée, à quelle échelle, avec quel genre d’outils et combien d’heures par semaine on devrait y consacrer. Il serait grand temps qu’on apprenne à faire la différence entre un besoin et un désir.»
Merci M. Mead de ne pas céder à ces injonctions de changement de discours pour gagner une crédibilité bien illusoire. La reconnaissance que vous a accordé Science Borealis dernièrement est la preuve que la crédibilité se gagne en étant fidèle à soi-même et non en se reniant pour un succès qui ne peut être qu’éphémère.
Le mouvement pour la décroissance devrait reprendre du service prochainement. On en aura bien besoin pour que se fasse le deuil de cette «hubris» intenable.
Je voudrais bien connaître le résultat de l’assemblée de Québec Solidaire pendant la fin de semaine dernière. L’objectif était, si j’ai bien compris, de resituer la politique économique du parti. Je suis surpris de ne rien trouver sur son site à cet égard, un texte de 2011 étant tout ce que j’y trouve. Cela fait longtemps que je cherche à voir les fondements économiques des protestations contre l’austérité, peu importe leur bien-fondé dans une approche hétérodoxe, Mon article ici représente ma déception face à plusieurs interventions qui mettent ces fondements carrément dans le système économique que je considère responsable des crises qui sévissent et qui semble au bord de l’effondrement.